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littérature espagnole - Page 5

  • L'amour aux Caraïbes

    L’amour aux temps du choléra (1985, traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan) est un roman splendide (merci, Colo, pour la recommandation). Gabriel García Márquez, prix Nobel de littérature 1982, y conte les destins croisés, dans une petite ville des Caraïbes, du Dr Juvenal Urbino, de son épouse Fermina Daza, et d’un autre homme qui l’aime à la folie, Florentino Ariza. 

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    Leur histoire commence dans « l’odeur des amandes amères » que reconnaît le médecin appelé auprès du cadavre de Jeremiah de Saint-Amour, un réfugié antillais photographe devenu avec les années « son adversaire le plus charitable aux échecs » et son ami : le suicide ne fait aucun doute pour « le médecin le plus ancien et le plus éclairé de la ville en même temps que le plus distingué de ses citoyens ». L’homme lui a laissé une lettre et malgré ses quatre-vingts ans, le Dr Urbino s’aventure « dans le remugle du vieux quartier des esclaves » pour y saluer la femme que Jeremiah aimait et à qui il a tout laissé.

    Le docteur et son épouse habitent « de l’autre côté de la baie, dans le quartier résidentiel de la Manga » une maison « grande et fraîche » très bien tenue où seul un perroquet est encore admis après les dégâts terribles causés par les innombrables animaux domestiques que collectionnait Fermina Daza – elle a pris son mari au mot quand il a décrété alors que « dans cette maison, qui ne parle pas n’entre pas ».

    A 72 ans, de façon inopinée, la femme du docteur devient veuve. Le dernier à la quitter après l’enterrement de son mari est l’homme qu’elle a effacé de sa vie depuis longtemps. Elle n’en croit pas ses oreilles quand Florentino Ariza, 76 ans, lui déclare sur-le-champ : « Fermina, j’ai attendu cette occasion pendant plus d’un demi-siècle pour vous réitérer une fois encore mon serment de fidélité éternelle et mon amour à jamais. » Après l’avoir mis dehors, furieuse de son impudence, elle peut enfin pleurer « la mort de son époux, sa solitude et sa rage ».

    Le récit remonte aux temps de leur jeunesse, quand Florentino est tombé amoureux de la fille unique de Lorenzo Daza, elle n’avait encore que treize ans : comme Fermina n’avait plus sa mère, c’est sa tante Escolástica qui s’occupait d’elle et veillait à ce que rien ne la distraie de ses études dans un collège fréquenté par la bonne société. Pour les voir passer, le jeune homme s’asseyait seul sur un banc à l’écart, avec un livre, et bientôt il s’était mis à lui écrire des billets qu’il ne pouvait lui remettre.

    Quand enfin l’occasion s’était présentée, Fermina avait pris la lettre de Florentino en lui demandant de ne plus revenir sans un signe de sa part. Dans l’exaltation des échanges épistolaires, leur amour se développait en secret, avec la complicité de la tante. Mais un jour le père de Fermina y avait mis fin brutalement en emmenant sa fille chez ses cousines pour l’éloigner de ce piètre prétendant et lui faire épouser « le plus apprécié des célibataires », l’élégant et savant docteur Juvénal Urbino.

    Si l’histoire du trio est romanesque à souhait, c’est d’abord par le génie du conteur : Gabriel García Márquez a l’art de donner une intensité rare aux faits et gestes, aussi quotidiens voire triviaux soient-ils, ou au contraire extraordinaires. Il étoffe son récit de saveurs et de senteurs, assure la tension à chaque page avec des portraits, des descriptions, des répliques qui donnent une aura fabuleuse à tout ce qui s’y déroule, drôlerie et gravité mêlées. 

    Le climat des Caraïbes, les mœurs de la fin du XIXe siècle offrent un cadre flamboyant aux personnages de L’amour aux temps du choléra. Dans cette histoire qui n’a rien de la mièvrerie des romans d’amour et où la passion se joue de l’âge, on verra jusqu’à quel point Florentino Ariza, passionné de l’amour, des femmes et des mots, pourra reconquérir celle qu’il n’a jamais cessé d’adorer.

  • Chaque jour

    « C’est l’automne déjà. Et, après les dernières battues des gardes civils et le retour vers le sud des troupeaux transhumants, tout retrouve son ordre et son calme autour de nous : les provisions et le bois pour le feu accumulés tout au long de l’été, le cochon mis à fumer au fond de notre caverne – et de certaines cuisines anonymes de Pontedo et de La Llánava –, les sons de la vallée et des montagnes, la ronde monotone du soleil et de la lune, celle des relèves de la garde civile et notre interminable et ennuyeuse surveillance. Tout sauf nous, chaque jour plus seuls et plus désespérés, chaque jour plus hantés par l’hiver qui s’annonce, comme à l’accoutumée, interminable et féroce et qui, à nouveau, changera ce trou humide en une tanière infecte tout juste bonne pour des bêtes pestiférées. »

     

    Julio Llamazares, Lune de loups 

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  • Comme les loups

    De 1937 à 1946, Lune de loups (Luna de lobos, 1985, traduit de l’espagnol par Raphaël Carrasco et Claire Decaëns) nous fait revivre des années douloureuses pour l’Espagne sous Franco. Julio Llamazares raconte comment ceux qui avaient fui dans la montagne après la chute du front républicain des Asturies ont dû y rester pendant des années pour échapper à la traque des gardes civils, y survivre, s’en échapper parfois ou y mourir, à moins de réussir à passer la frontière et s’exiler. 

     

     

    Ils sont quatre à monter en automne vers le col d’Amarza : Ramiro et son frère Juan, Gildo et Ángel, le narrateur. Dans la vallée, au versant sud, une lumière s’allume dans une maison. « Bientôt il fera clair et pour lors il nous faudra être cachés. La lumière du soleil n’est pas bonne pour les morts. » Sous la menace de leurs armes, ils se font ouvrir la porte et donner à manger, ils n’ont plus rien avalé depuis cinq jours. « Le lait est chaud et épais. Il descend comme une flamme dans ma gorge. » Puis ils reprennent la marche à travers les montagnes, pour rejoindre leur contrée quittée un an plus tôt.

     

    Au-dessus des toitures de La Llánava, Ramiro signale une tache jaune sur un chemin : la sœur d’Ángel porte le foulard jaune offert par son frère pour mener les vaches au pré. Celui-ci descend lui annoncer leur arrivée cette nuit, mais cela l’effraie : « Ils vont te tuer. » Dans l’obscurité, ils s’introduisent dans la grange, apprennent que les gardes civils ont emmené le père. Même si sa sœur Juana le conjure de s’en aller, Ángel décide de rester, la grange a déjà été fouillée, mais les autres retournent dans la montagne. Quand son père revient, maigri, vieilli, il lui donne de l’argent pour passer dans l’autre zone, c’est trop dangereux par ici : « Ils recherchent tous ceux qui étaient aux Asturies »

     

    Le groupe décide alors de se cacher dans une mine abandonnée. Ramiro y a travaillé douze ans, de quinze à vingt-sept ans, avant la guerre civile. A la bergerie, ils emportent des fromages et une brebis, qu’Ángel paie au berger dont ils ont aussi pris la carabine. Gildo tue la bête, la vide, Juan sort les viscères puis donne l’alerte : quelqu’un là-haut l’a vu ! C’est un gamin de Vegavieja qui cherche une chèvre et les accuse de l’avoir volée avant de s’enfuir. Bientôt les gardes civils arrivent avec des soldats pour fouiller la mine, poussant deux prisonniers devant eux, qu’ils abattent. Les fuyards se sont réfugiés dans une grotte humide et glacée – « avant le printemps, nous ne pourrons pas nous échapper d’ici. »

     

    Deux ans plus tard, Ángel et ses compagnons arrêtent au col un autocar qui va au marché de León. A l’abri de leurs passe-montagnes, ils prennent l’argent des passagers sous la menace de leurs mitraillettes. Ángel passe deux jours et deux nuits chez son amie María ; de la fenêtre de sa chambre, il surveille un tablier à carreaux bleus pendu dans le jardin, qui signale la présence de gardes civils autour de la maison familiale. « Tu sens les bois, tu sens comme les loups », lui dit la jeune femme. A cinq heures du matin, le tablier a disparu, il peut se glisser chez lui. Sa sœur a été battue par les gardes civils, elle remet du sang. Ángel : « comment lui dire que je souffre davantage pour eux que pour moi. Sans savoir comment mettre un terme à ce cercle sanglant et interminable. »

     

    Son père lui avait dit un soir en rentrant chez eux : « Regarde, mon fils, regarde la lune ; c’est le soleil des morts. » Et c’est ainsi que se sentent les fugitifs, comme des morts, comme des loups. Toujours sur la défensive, toujours prêts à fuir ailleurs, à tuer pour ne pas être tués. Se déplaçant au clair de lune. La possibilité d’un retour s’éloigne chaque jour, y compris pour Gildo qu’attendent une femme et un fils. Des échappatoires se révèlent souvent des pièges meurtriers, et il faut beaucoup d’argent pour passer à l’étranger. Les villageois sont partagés entre la compassion – certains les aident – et « la peur, chaque jour plus grande, des représailles ». Connaîtront-ils tous les quatre, l’un après l’autre, le sort des loups traqués et abattus ?

    Nous suivons jusqu’en 1946 les pas d’Ángel, l’ex-instituteur de La Llera, qui d’année en année, à travers des hivers terribles, se sent devenir une véritable bête qui effraie les gens, et même les siens. Dans Lune de loups, Julio Llamazares décrit avec une intensité remarquable le destin de ces maquisards condamnés à épouser la montagne dans toute sa rigueur et toute sa beauté intransigeante. Toujours à deux doigts de la mort. Vivant comme des loups.

  • La tâche du poète

    Pause mallorquine / 6    

    Ecrire lentement
    – traits blancs sur un fond noir – ,
    sur le papier bruyant
    des mots de grand silence.
         

    Promptement, fracasser
    – en traits rouges de sang –
    des silences douteux
    avec des mots qui crient.

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    La tasca del poeta

    Escriure a poc a poc
    – traços blancs sobre negre -,
    al paper de la fressa,
    paraules de silenci. 

    De pressa, esbardellar
    – traços vermells de sang –
    tèrbols silencis còmplices
    amb paraules de crit.

    Narcis Comadira

  • Marine / Marina

    Pause mallorquine / 2    

    Mer, tu es une rose
    tu es la rose verte.

    Le vent nous pousse comme des nuages
    comme des nuages véloces
    sur toi
    et nous enivre
    de pétales de sel
    de parfums argentés

    Majorque La côte.jpg

    Mar, eres una rosa
    eres la rosa verde.

    El viento nos empuja como a nubes
    como a nubes veloces
    sobre ti
    y nos embriaga
    de pétalos salados
    y perfumes de plata

    Blanca Andreu